osteo-nord

Les respirateurs buccaux

Le 17/10/2024

Dans Spécialités

La respiration buccale, touchant 40 % des enfants et jusqu'à 16 % des adultes, a des impacts sur la posture, la croissance faciale et divers aspects de la santé. Cet article abordera les fonctions essentielles (méconnues ou sous-estimée) du nez, et développera le panel de causes-conséquences intriquées liées à son excamotage. Vous découvrirez également comment l'ostéopathe peut intervenir pour identifier et traiter les conséquences de la respiration buccale, en lien avec les autres disciplines de santé, favorisant ainsi le rétablissement d'une respiration nasale optimale.

la respiration buccale, synthèse

Il existe une littérature fournie et dense sur la respiration buccale.

La plus ancienne étude que j’ai trouvée date de 1896 (Roe, « Breathing and Bicycling ».), et elle se base sur des écrits antérieurs. De nombreuses revues de littératures font l’état des connaissances sur le sujet, extrêmement ramifiées aujourd’hui (Lin et al., « The Impact of Mouth Breathing on Dentofacial Development »). 

Aussi vrai que le nez est au milieu de la figure, la bouche est au carrefour de toutes les fonctions vitales humaines : respirer, manger, communiquer. Mélanger les fonctions de l’un et de l’autre mène donc nécessairement à des cafouillages fonctionnels en cascade.

La respiration buccale est le fait de prendre l’air majoritairement par la bouche, plutôt que par le nez. Elle touche +/- 40% de la population infantile, et persiste chez 5 à 16% des adultes. Elle prive l’individu des bienfaits du passage de l’air dans le nez (filtration et conditionnement de l’air), et impose l’ouverture de la bouche permanente, ce qui porte préjudice aux tissus de la bouche, et à la croissance des os du visage. (Nosetti et al., « Exploring the Intricate Links between Adenotonsillar Hypertrophy, Mouth Breathing, and Craniofacial Development in Children with Sleep-Disordered Breathing »)

Les conséquences vont de la forme du visage aux appuis plantaires, en passant par des troubles de la posture, de l’occlusion, de la voix, des apprentissages, du sommeil, de l’appétit et donc de la prise de poids,  de l’immunité, et même des problèmes cardiaques.

La prise en charge passe par une identification du trouble (on parle de Syndrome du Respirateur Buccal, ou Long Face Syndrom en anglais, essayez sur Google Image...) le plus tôt possible, puis l’identification et le traitement de la cause (la plus fréquente étant l’hypertrophie amygdalienne), et parfois une rééducation est nécessaire. Au-delà de l’adolescence, la correction des conséquences sera indispensable pour permettre à nouveau une respiration nasale.

 
Long face syndrome

Être respirateur buccal augmente la probabilité de présenter les troubles suivants :

  • Troubles de l’apprentissage, en particulier une mémorisation moins efficace (ref 1, 2, 3) dont le mécanisme a été objectivé chez les souris (4). La cause est probablement un mix des problèmes de sommeil et apparemment une moindre synthèses de certaines molécules dans le cerveau.
  • Problèmes de voix (5), améliorés par la correction de la RB.
  • Halitose (mauvaise haleine) (6) avec de la gingivite (7), des maladies parodontales, des caries dentaires, et même une déminéralisation des dents (8)…
  • Plus grande susceptibilité à l’asthme (9) (qui sont une conséquence) et de rhinite allergique (qui sont une cause) (10), les 2 devenant interdépendant (11).
  • Une plus grande sensibilité aux pathologies ORL (12)
  • Des troubles temporo-mandibulaires (articulation de la mâchoire) (13)
  • Du bruxisme (14, 15)
  • L’apnée obstructive du sommeil (16, 17), qui reste persistante malgré l’adéno-amygdalectomie (18) dans 75% des cas (19).  
  •  De l’énurésie (20), conséquence du SAOS par l’acidification du pH sanguin qui stimulerait la vessie.
  • Et surtout, très étudié, la dysmorphologie cranio-faciale, c’est-à-dire la croissance des os du visage, qui sera impactée par la respiration buccale entrainant un « long-face syndrome », le syndrome du visage long (21) :
    • une bouche toujours entr’ouverte, laissant voir les dents de devant
    • une lèvre inférieure épaisse et molle,
    • une mandibule plus petite et plus en arrière (classe 2 en orthodontie)
    • un palais haut et étroit, triangulaire, trop convexe pour que la langue s’y loge
    • un "manque de place" pour les dents, qui nécessiteront de l’orthondontie et des extractions dentaires (22)
    • un nez étroit, fin, des narines fermées, puisqu’inutilisées
    • des pommettes plus rapprochées, donc un visage plus développé en hauteur qu’en largeur (23, 24)
    • une tête portée en avant du cou, avec une extension constante de la base du crâne. La maturation des vertèbres cervicale est différente (25), avec plus de risques de présenter des pathologies des 1eres cervicales (26, 27)
    • une langue basse, associée à une déglutition primaire ou atypique (28, 29). 

1 - Ribeiro et al., « Influence of the Breathing Pattern on the Learning Process »;

2 -  Jung et Kang, « Investigation on the Effect of Oral Breathing on Cognitive Activity Using Functional Brain Imaging ».

3 - Kuroishi et al., « Deficits in Working Memory, Reading Comprehension and Arithmetic Skills in Children with Mouth Breathing Syndrome ».

4 - Ishidori et al., « Nasal Obstruction during the Growth Period Modulates the Wnt/β-Catenin Pathway and Brain-Derived Neurotrophic Factor Production in Association with Tyrosine Kinase Receptor B mRNA Reduction in Mouse Hippocampus ».

5  - Zee et al., « Prevalence of Dysphonia in Children with Adenotonsillar Problems and the Impact of Surgery on Voice ».

6 - Bawazir, « Risk Factors, Diagnosis, and Management of Halitosis in Children ».

7- Mummolo et al., « Salivary Markers and Microbial Flora in Mouth Breathing Late Adolescents ».

8 - Bakor et al., « Demineralization of teeth in mouth-breathing patients undergoing maxillary expansion ».

9 - Chadha, Birch, et Sackner, « Oronasal Distribution of Ventilation during Exercise in Normal Subjects and Patients with Asthma and Rhinitis ».

10 - Bl, « Upper and Lower Airway Pathology in Young Children with Allergic- and Non-Allergic Rhinitis ».

11 - Chawes et al., « Children with Allergic and Nonallergic Rhinitis Have a Similar Risk of Asthma ».

12 - Kukwa et al., « Prevalence of Upper Respiratory Tract Infections in Habitually Snoring and Mouth Breathing Children ».

13 - Alpaydin, Alpaydin, et Torul, « Do Symptoms and Signs of Temporomandibular Disorders Have an Association with Breathing Pattern ».

14 - Lamenha Lins et al., « Probable Sleep Bruxism in Children and Its Relationship with Harmful Oral Habits, Type of Crossbite and Oral Breathing ».

15 - Emodi-Perlman et al., « Sleep Bruxism in Children-What Can Be Learned from Anamnestic Information ».

16 - Markkanen et al., « Snoring Toddlers with and without Obstructive Sleep Apnoea Differed with Regard to Snoring Time, Adenoid Size and Mouth Breathing ».

17 - M et T, « The Effect of Nasal and Oral Breathing on Airway Collapsibility in Patients with Obstructive Sleep Apnea ».

18 - Alhalabi et al., « Persistent Obstructive Sleep Apnea Post-Adenotonsillectomy in Children ».

19 - Sambale et al., « An Interdisciplinary Approach ».

20 -Alshehri et al., « Sleep-Disordered Breathing and Its Association with Nocturnal Enuresis at the Primary Schools in Saudi Arabia ».

21 - Cheng et al., « A Study of the Facial Soft Tissue Morphology in Nasal- and Mouth-Breathing Patients ».

22 - Festa et al., « Association between Upper Airway Obstruction and Malocclusion in Mouth-Breathing Children »

23 - Neelapu et al., « Craniofacial and Upper Airway Morphology in Adult Obstructive Sleep Apnea Patients »

24 - Peng et al., « Craniocervical Posture in Patients with Skeletal Malocclusion and Its Correlation with Craniofacial Morphology during Different Growth Periods »

25 - Li et al., « Effects of Mouth Breathing on Maxillofacial and Airway Development in Children and Adolescents with Different Cervical Vertebral Maturation Stages »

26 - Aranitasi et al., « Influence of Skeletal Class in the Morphology of Cervical Vertebrae »

27 - Anusuya, Sharan, et Jena, « A Study of Cervical Vertebra Anomalies among Individuals with Different Sagittal and Vertical Facial Growth Patterns »

28 - Lan et al., « Influences of Adenoid Hypertrophy on Children’s Maxillofacial Development »

29 - Gómez-González et al., « Mouth Breathing and Its Impact on Atypical Swallowing ».

Rhino horn
Palais etroit
Posture rb
Enfant nuit

Point sur le lien RB et modifications cranio-faciales (MCF) :

Le lien n’est pas si clair, les corrélations existent mais ne sont pas statistiquement significatives sur les grands effectifs. La date de publication des études lues montre une évolution des connaissances sur la question : dans les premières décennies (avant les années 2000), on concluait plus facilement à une causalité directe entre la respiration buccale et la dysmorphose craniofaciale. Les études plus récentes, avec l’arrivée de techniques comme l'imagerie tridimensionnelle ou les approches statistiques multivariées, remettent en question cette relation simple en soulignant la complexité multifactorielle du développement craniofacial.

Une étude de 2023 sur des jumeaux semble orienter le débat :  « Les dimensions des voies respiratoires supérieures sont fortement déterminées par les gènes, tandis que les paramètres des voies respiratoires inférieures dépendent principalement de facteurs environnementaux. » (1) Ainsi la partie plutôt basale du crâne serait plutôt innée (palais, largeur maxillaire, angle céphalo-cervical) tandis que la partie plus membraneuse (mandibule, langue et dentition) serait plutôt adaptative.  La densité de l’os cortical de la mandibule est diminuée précocement chez les RB (2).

Dans ce sens, diverses études qui associent un palais étroit à une perméabilité nasale moindre (3, 4, 5). A contrario mais conduisant aux mêmes conclusion, un certain nombre d’études montrent une amélioration de la fonction respiratoire, avec une diminution des symptômes type SAOS, après une expansion palatine orthodontique (6, 7, 8).

Les études d’imagerie les plus récentes tendent à minimiser cette interaction (9), mais on notera qu’elles ne mesurent pas la fonction comme les précédentes, mais l’anatomie sur des imageries fixes (10).

Les « mauvaises habitudes orales », telles que succion du pouce, succion des lèvres, déglutition primaire, mastication asymétrique (11)… sont associées aux malocclusion et à la respiration buccale (12), mais on ne sait pas non plus si elles sont cause ou conséquence. Encore une fois, il semble que l’obstruction nasale soit antérieure et causale de ces comportements (13). Le frein lingual ne semble pas causal non plus (14).

A noter toutefois qu’être respirateur buccal à l’âge adulte n’impacte pas la qualité de vie, et malgré une force musculaire respiratoire plus faible (15), n’empiète pas sur l’endurance musculaire (16), et donc les compétences sportives, nonobstant ce qui a été montré sur le sommeil.

 

  1.  Šidlauskienė et al., « Heritability of Cephalometric Variables of Airway Morphology in Twins with Completed Active Growth ».
  2. Wang et al., « Effect of Breathing Patterns on Mandibular Cortical Bone Quality in Children and Establishment of a Preliminary Screening Model ».
  3. Milanesi et al., « Nasal Patency and Otorhinolaryngologic-Orofacial Features in Children ».
  4. Trevisan et al., « Respiratory Mode, Nasal Patency and Palatine Dimensions ».
  5. Pop et al., « Three-Dimensional Assessment of Upper Airway Volume and Morphology in Patients with Different Sagittal Skeletal Patterns ».
  6. Benetti et al., « Does Miniscrew-Assisted Rapid Palatal Expansion Influence Upper Airway in Adult Patients? »
  7. Tzironi et al., « A Reproducible and Repeatable Digital Method for Quantifying Nasal and Sinus Airway Changes Following Suture Palatine Expansion ».
  8. Korayem, « Effects of Rapid Maxillary Expansion on Upper Airway Volume in Growing Children ».
  9. Korayem.
  10.  « Comparative Evaluation of the Relationship Between Airway Inadequacy, Head Posture, and Craniofacial Morphology in Mouth-Breathing and Nasal-Breathing Patients: A Cephalometric Observational Study - PubMed ».
  11. Araújo et al., « Association between Nasal Patency and Orofacial Myofunctional Changes in Patients with Asthma and Rhinitis ».
  12. Milanesi et al., « Variables Associated with Mouth Breathing Diagnosis in Children Based on a Multidisciplinary Assessment ».
  13. « Association between tongue, lips position and breathing in newborns - PubMed ».
  14. Kuskonmaz et al., « Correlation between Malocclusions, Tonsillar Grading and Mallampati Modified Scale ».
  15. Milanesi et al., « Childhood Mouth-Breathing Consequences at Adult Age ».
  16. Lörinczi et al., « Nose vs. Mouth Breathing- Acute Effect of Different Breathing Regimens on Muscular Endurance ».

ostéopathie bien-être physiologie respiration apnée du sommeil ronflement rhinite sinusite